Violation du Droit Européen pour les Praticiens Hospitaliers à diplômes reconnus par d'autres pays Européens


TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE DIJON
N° 1902002
Mme A
Mme Nelly Ach
Juge des référés
Ordonnance du 26 juillet 2019
54-035-02
C
                                                                                                                                                                                                                                                                   RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Juge des Référés
Vu la procédure suivante ;

Par une requête enregistrée le 12 juillet 2019, Mme A, représentée par Me Lalamne,
demande au Tribunal :
1°) d’ordonner, sur le fondement de farticle L, 521-1 du code de justice administrative,
la suspension de l’exécution de la décision du centre national de gestion des praticiens
hospitaliers du 12 juin 2019 portant refus d’inscription de sa demande à l’ordre du jour de la
commission d’autorisation d’exercice ;
2°) d’enjoindre, à titre principal, à la ministre de la santé de convoquer une commission
d’autorisation d’exercice ad hoc avant le 1er septembre 2019 afin d’examiner sa demande ou, à
titre subsidiaire, au directeur général du centre national de gestion d’inscrire sa demande à
l’ordre du jour de la prochaine commission dans la spécialité anesthésie réanimation ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 500 euros en application de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le courriel adressé par le centre national de gestion le 12 juin 2019 constitue une
décision individuelle défavorable qui fait grief ;
- la condition d’urgence est satisfaite compte tenu de la précarité de sa situation actuelle,
tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, de la nécessité pour le centre hospitalier
de Sens de la recruter rapidement en qualité de médecin réanimateur de plein exercice et de la
date de la procliainc réunion de la commission d’autorisation d’exercice dans sa spécialité ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision : elle  est entachée
d’incompétence ; elle est insuffisamment motivée ; elle est entachée d’erreur de droit s’agissant
de l’appréciation portée sur le caractère complet de son dossier ; elle méconnaît le droit
européen, tant eu égard à sa qualité de citoyenne européenne que s'agissant des dispositions
relatives à la reconnaissance des diplômes délivrés par les Etats membres de l’Union
européenne ; la décision est entachée d’erreur manifeste d'appréciation.
 
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2019, la directrice générale du centre
national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction
publique hospitalière conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que la condition d’urgence ne peut être regardée comme remplie,
qu'aucune decision faisant grief n’a été prise, que le centre national de gestion était en situation
de compétence lice eu égard au caractère incomplet du dossier et qu'il n’existe pas de doute
sérieux sur la légalité de sa décision.

Vu:
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée sous le n° 1902001.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.

Le président du Tribunal a désigné Mme Ach, premier conseiller, pour statuer sur les
demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 25 juillet 2019 à
11 heures.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Ach. juge des référés ;
- et les observations de Mc Bonnet, représentant Mme A, qui reprend ses conclusions et
ses moyens, précise qu’un courriel est susceptible de faire grief, insiste sur le parcours personnel
de sa cliente et sur l'urgence qui existe à ce que la commission d'autorisation d’exercice soit
mise en mesure de statuer sur sa demande, tant du point de vue de sa situation qu’au regard de la pénurie de médecins anesthésistes exerçant au centre hospitalier de XXXX et rappelle que le centre national de gestion a nécessairement procédé à une appréciation avant de refuser de transmettre la demande à la commission, que le dossier comprenait l’ensemble des pièces demandées et que le centre national de gestion semble confondre plusieurs procédures distinctes permettant de reconnaître les diplômes délivrés à l’étranger.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 11 heures 30.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A, de nationalité française, est titulaire d’un diplôme en médecine délivré le
22 février 2007 par l' université de Lima au Pérou, homologué par les autorités espagnoles le 17
janvier 2008 et d’un diplôme de médecin spécialiste en anesthésie-réanimation délivré le 31
juillet 2014 par l’université de Barcelone en Espagne. Le 6 août 2018, Mme A a déposé une
demande d’autorisation d’exercice de la médecine en France, dans la spécialité anesthésie-réanimation,auprès du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de
direction de la fonction publique hospitalière (CNG). Le 12 juin 2019, Mme A a été informée par
le centre national de gestion qu'en l’absence de justification de trois années d’exercice de la
profession en qualité de médecin spécialiste en anesthésie-réanimation, son dossier était
incomplet de sorte qu’il n'a pas été transmis à la commission prévue à l’article L. 4111-2 du
code de la santé publique. Par la présente requête, Mme A demande au juge des référés de
suspendre la décision du 12 juin 2019.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre national de gestion :

2. Dans ses écritures en défense, la directrice générale du centre national de gestion
des praticiens hospitaliers soutient que le courriel contesté, rédigé par M. Lefevre du bureau
chargé des commissions d’autorisation d’exercice, informant Mme A du caractère incomplet de
son dossier, ne constitue pas une décision administrative faisant grief au sens de l’article R. 421-
2 du code de justice administrative.

3. Cependant, il n’est pas contesté que Mme A, qui a déposé son dossier de demande
d’autorisation d’exercice auprès du centre national de gestion le 6 août 2018, n’a été destinataire
d’aucune réponse expresse prise par la directrice générale du centre national de gestion portant
transmission ou refus de transmission de sa demande à la commission prévue à l’article L. 4111-
2 du code de la santé publique. La prise de position adoptée par le centre national de gestion dans son courriel du 12 juin 2019 est de nature à produire des effets notables sur la carrière de Mme A. Dans ces conditions, le courriel contesté revêt le caractère d’un acte faisant grief, susceptiblede faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir et, par voie de conséquence, d’un recours autitre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice
administrative :

4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une
décision administrative, même de rejet, fait l’objet d'une requête en annulation ou en
réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu il estfait état d’un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalitéde la décision. (...) ».

En ce qui concerne l urgence :

5. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque
l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt
public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des
référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les
effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le
jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

6. Après avoir pratiqué son activité de médecin au Pérou et effectué un stage en
anesthésiologie au sein d’une clinique à XXXXXXXXX, en Normandie, en septembre et
octobre 2018, Mme A a été recrutée par le centre hospitalier de XXXX à compter du 3 juin 2019 en qualité de praticien attaché associé, dans le service d’anesthésie-réanimation. D’une part, si la directrice générale du centre national de gestion fait valoir que l’urgence n’est pas constituée dès lors que l’intéressée perçoit actuellement une rémunération, il ressort des pièces du dossier et des débats à l’audience que Mme A, qui élève seule ses deux enfants et souhaite s’établir
sereinement et de façon pérenne à XXXX, perçoit une rémunération bien moindre que celle à
laquelle elle pourrait prétendre en qualité de médecin anesthésiste-réanimateur de plein exercice.
En outre, son contrat, qui s'achève le 3 décembre 2019 et ne lui permet d'exercer que sous la
surveillance de son chef de service, stipule expressément qu’il ne fera l’objet d’aucun
renouvellement.
 
7. D’autre part, il résulte des attestations rédigées par le directeur des ressources
humaines et des affaires médicales et par le chef du service d’anesthésie du centre hospitalier de
XXXX que ce service fait face actuellement à une pénurie patente de médecins anesthesistes-réanimateurs,que deux des médecins y exerçant leur activité ont fait part de leur intention de
faire valoir leurs droits à la retraite à brève échéance et que Mme A, qui donne pleinement
satisfaction, bénéficie d’une perspective sérieuse de recrutement si elle venait à bénéficier d’une
autorisation d’exercer dans sa spécialité.

8. Enfin, le centre national de gestion s’est abstenu de transmettre la demande de
Mme A à la commission d’autorisation d’exercice alors que celle-ci se réunissait en mai 2019
dans la spécialité anesthésie-réanimation. La prochaine réunion de la commission dans cette
spécialité est prévue en novembre 2019.

9. Ainsi, la décision en litige est de nature à préjudicier, de façon grave et immédiate,
aussi bien à la situation personnelle et professionnelle de Mme A qu’à l'intérêt public inhérent au
fonctionnement du service d’anesthésie-réanimation du centre hospitalier de Sens.

En ce qui concerne le doute sérieux :

10. Aux termes de l’article L. 4111-2 du code de la santé publique : « (...) IL -
L'autorité compétente peut également, après avis d’une commission composée notamment de
professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession de médecin dans la spécialité
concernée, de chirurgien-dentiste, le cas échéant dans la spécialité, ou de sage-femme les
ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur
1'Espace économique européen, titulaires de litres de formation délivrés par un Etat tiers, et
reconnus dans un Etat, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer
légalement la profession. S'agissant des médecins et, le cas échéant, des chirurgiens-dentistes, la
reconnaissance porte à la fois sur le titre de base et sur le titre de spécialité. L'intéressé Justifie
avoir exercé la profession, le cas échéant dans la spécialité, pendant trois ans à temps plein ou à
temps partiel pendant une durée totale équivalente dans cet Etat, membre ou partie. Dans le cas
où l'examen des qualifications professionnelles attestées par l'ensemble des titres de formation
initiale, de l'expérience professionnelle pertinente et de la formation tout au long de la vie ayant
fait l’objet d'une validation par un organisme compétent fait apparaître des différences
substantielles au regard des qualifications requises pour l'accès à la profession et son exercice
en France, l’autorité compétente exige que l'intéressé se soumette à une mesure de compensation
dans la spécialité ou le domaine concerné. (...) ». Aux termes de l’article R, 4111-16 du même
code : « (...) Le secrétariat de. la commission est assuré par le centre national de gestion, avec le
concours, s'agissant des commissions d'autorisation d'exercice compétentes pour les médecins,
du Conseil national de l'ordre des médecins. ».

11. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le moyen tiré de l’incompétence
d’un membre du bureau chargé des commissions d’autorisation d’exercice du centre national de
gestion pour refuser de transmettre la demande de Mme A à la commission d’autorisation
d’exercice au seul motif qu’elle ne justifie pas de trois années d’exercice de la profession de
médecin spécialiste en anesthésie-réanimation apparaît, eu égard à la nécessaire appréciation
portée par l’auteur du courriel sur la situation de l’intéressée et en l’absence de compétence liée,
de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

12. Il résulte de ce qui précède que les deux conditions fixées à l’article L.. 521-1 du
code de justice administrative sont remplies. Dès lors, Mme A est fondée à demander la
suspension de l’exécution de la décision par laquelle le centre national de gestion des praticiens
hospitaliers a refusé de transmettre sa demande à la commission prevue à l’article L. 4111-2 du
code de la santé publique.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

13. La présente ordonnance, qui suspend à titre provisoire, jusqu’à ce qu’il soit statué
sur le fond, l’exécution de la décision contestée, implique seulement que la directrice générale du
centre national de gestion procède à la transmission du dossier de demande d’autorisation
d’exercice déposé par Mme A à la commission prévue à l’article L. 4111-2 du code de la santé
publique, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, afin que
cette demande puisse être inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la commission
dans la spécialité anesthésie-réanimation.

Sur les conclusions tendant à l’application de F article L. 761-1 du code de justice
administrative :

14. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la
somme de 1 000 euros à verser à Mme A au titre des frais exposés et non compris dans les
dépens.

ORDONNE:

Article 1 : L’exécution de la décision du centre national de gestion du 12 juin 2019
portant rejet de transmission auprès de la commission d’autorisation d’exercice de la demande
formée par Mme A est suspendue.

Article 2 :  Il est enjoint à la directrice générale du centre national de gestion de
transmettre dans le délai d’un mois la demande de Mme A à la commission prévue à l’article L.
4111-2 du code de la santé publique afin qu’elle puisse être inscrite à l’ordre du jour de la
prochaine réunion de la commission dans la spécialité anesthésie-réanimation.

Article 3 : L’Etat versera à Mme A la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761 -
1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A, à la ministre des solidarités et
de la santé et à la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et
des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.
 
Fait à Dijon, le 26 juillet 2019.

Le juge des référés,                                                                                                 Le greffier,

N. ACH                                                                                                                    J. TESTORI

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui le
concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.                   

Source : Tribunal Administratif de DIJON